Pierre Assouline est un journaliste et écrivain dont les chroniques paraissent régulièrement dans Le Monde et L’Histoire. Son livre, Hergé : L’homme qui créa Tintin, traduit par Charles Ruas, offre un portrait sans complaisance d’un homme qui a révolutionné la bande dessinée. Dans l’extrait ci-dessous, nous découvrons les origines de Tintin.
Tintin et Milou sont nés le 10 janvier 1929, dans Le Petit Vingtième. Ce jour-là, le supplément pour jeunes lecteurs du Vingtième Siècle publie pour la première fois une bande dessinée sous le titre « Les aventures de Tintin, le reporter du Petit Vingtième, au pays des Soviets », les deux premières cases d’une bande dessinée hebdomadaire qui en comptera 121.
Si les faits sont là, il reste à savoir pourquoi et comment Tintin et Milou ont vu le jour. Selon Hergé, c’est très simple : « L’idée du personnage de Tintin et du genre d’aventures qui lui arriveraient m’est venue, je crois, en cinq minutes, au moment où j’ai fait la première esquisse de la figure de ce héros : c’est-à-dire qu’il n’avait pas hanté ma jeunesse ni même mes rêves. Bien qu’il soit possible qu’enfant, je me sois imaginé dans le rôle d’une sorte de Tintin ».
Tintin a une préhistoire. Hergé a fait une esquisse d’un personnage ressemblant à Tintin dans la série Totor, qui était une sorte de galop d’essai. Cette période de tâtonnement dans la création d’un personnage est loin d’être exceptionnelle. Pour ne citer que deux exemples, Mickey Mouse s’est d’abord appelé Mortimer, et l’inspecteur Maigret dans une vie antérieure était l’agent n° 49.
Hergé ne l’a jamais nié. Lorsqu’on le presse d’expliquer les origines de Tintin, il admet qu’il a été conçu comme le petit frère de Totor, le chef de troupe des June Bugs. Tintin portait des plus de quatre parce que Georges Remi en portait parfois, et qu’ils pouvaient distinguer Tintin aussi facilement que les pantalons bouffants du vagabond de Chaplin. Hergé lui a aussi donné une touffe de cheveux dressée sur le front (qu’on voit pour la première fois lors d’une poursuite en voiture dans Le Pays des Soviets), en le dessinant de face. Si Tintin est représenté de profil ou de trois quarts à gauche ou à droite, les traits du visage ne sont qu’à peine esquissés. La figure est en harmonie avec le visage, le résultat est neutre, sans dissonance. Tout le monde peut s’identifier à lui car c’est un homme ordinaire.
Tintin est né à quinze ans et n’a donc pas eu d’enfance. A quoi ressemblait Georges Remi à cet âge ? Probablement à Tintin – il avait comme lui l’apparence d’un scout intrépide – sauf que Rémi se coiffait à plat, qu’il était plus mince et plus grand, et que son visage était moins rond. On a dit qu’Hergé avait inconsciemment pris les traits, les attitudes et les gestes de son jeune frère, Paul.
En termes de graphisme, il n’y a rien de plus simple que Tintin. Il est aussi simple que la trame de l’histoire. Tintin est un journaliste ou plutôt un reporter, ce qui signifie le contraire de sédentaire. On le voit moins souvent écrire à la machine à écrire que sur le terrain. À ses yeux, c’est l’investigation d’un fait, et non sa résolution, qui constitue la base de son métier. Tintin semble suggérer qu’il est en fait un grand reporter, membre d’un groupe restreint de journalistes légendaires comme Albert Londres, Joseph Kessel, Édouard Helsey, Henri Béraud, etc. Bien sûr, Rémi lui-même avait voulu devenir l’un d’eux – et il le deviendrait, par procuration. Tintin allait réaliser son rêve. Pour l’un des plus jeunes employés d’un journal, appartenir à ce groupe restreint représentait la promotion ultime. Pour Rémi, c’est aussi le symbole d’une quête d’aventure.
La transformation de Totor en Tintin va se poursuivre. Bien que reporter, Tintin ne perd jamais son esprit de scout. Au contraire, il l’exprime dans son visage, ses attitudes et ses actions. On pourrait dire de Tintin, comme Voltaire le disait de Candide, que son visage révèle son âme. Le dilemme constant d’Hergé était de faire perdre à Tintin sa naïveté tout en restant pur.
Voici les données essentielles de Tintin : il est de type caucasien, sans prénom, orphelin, sans passé, originaire de Bruxelles (et non belge), âgé d’une quinzaine d’années, manifestement célibataire, excessivement vertueux, chevaleresque, courageux, défenseur des faibles et des opprimés, ne cherche jamais les ennuis mais les trouve toujours ; il est débrouillard, prend des risques, est discret et non-fumeur.